Photos Guy Vivien
Song of Sight (Ribac/Pasquier)
Chant : Eva Schwabe, Ken Norris
Les argonautes (Ribac/Grünberg)
Chant : Eva Schwabe, Marie Faye, Jean-Jacques Allaire, François Ribac
Écouter le disque Le regard de Lyncée (MUSEA 2000)
Le regard de Lyncée
Création en avril 1999 au Forum Culturel du Blanc Mesnil
Un opéra pour trois chanteurs, un récitant, un septet de jazz et un quatuor à cordes
Argument
Dans certains textes antiques, on trouve la mention du héros grec Lynkeus. Frère frère jumeau d’Idas, fils d’Apharée, descendant de Persée, c’est lui qui guide le bateau des argonautes parti à la recherché de la toison d’or. Un autre episode mythologique, nous apprend qu’à la suite d’une violente dispute avec ses cousins Castor et Pollux, il les découvre cachés dans un tronc d’arbre. En raison de son regard qui perce la matière et l’obscurité, les mythographes le présentent comme l’ancêtre des mineurs. Dans son second Faust, Goethe en fait un guetteur, né pour regarder, voué à veiller. Lyncée anticipe donc, de quelques millénaires, le rayon X et le satellite espion, il incarne, sous une forme mythologique, le rêve de l’omniscience visuelle.
Notre opéra narre les transformations, les transmutations de ce héros :
1ère époque : Le héros de la mythologie grecque et ses expéditions.
2ème époque : L’invention des rayons X par Wilhelm Conrad Röntgen en 1895 (année de l’invention du cinéma par les frères Lumières), l’exhibition de cette technique dans les foires et les drames qu’elle engendre.
3ème époque : L’oeil numérique, la civilisation de l’écran généralisé (satellites d’observations en temps réel, micro chirurgie assistée par ordinateur, prothèses oculaires, images virtuelles, flux d’images et d’informations, l’avènement du cyberspace, etc…)
Presse
Le Monde
23 avril 1999
L’histoire de l’image gaie et sérieuse sur la musique de François Ribac
Le Regard de Lyncée, musique de François Ribac, mise en scène de Patrice Bigel ; textes de Marie-Claire Pasquier, Serge Grünberg, Hervé Le Tellier et Goethe. Créé le 7 avril 1999 au Forum Culturel du Blanc-Mesnil. Représentations : CNAT Le Manège de Reims, les 28 et 29 avril (sous réserve), Espace Louis Lumière d’Épinay sur Seine le 7 mai, le Moulin du Roc à Niort le 11 mai, Le Centre des Bords de Marne le 18 mai.
De grandes toiles peintes en brun-orange percées de formes carrées vont et viennent à des vitesses variables, de bas en haut, ou de long en large. Trois acteurs-chanteurs apparaissent, par périodes, dans les carrés. On les imagine dans un ascenseur qui plonge dans les ténèbres d’une mine, ils semblent marcher vers l’infini. Le spectateur, par un effet optique, participe à ses mouvements. Plus tard, il y aura aussi un plateau nu, des projections, d’autres effets. C’est simple, efficace, un peu magique. Le Regard de Lyncée, spectacle musical -Patrice Bigel est le metteur en scène, François Ribac le compositeur- conte, en chansons, passages instrumentaux et trois « actes », l’histoire de l’image depuis le XIXe siècle, de la découverte des rayons X par le physicien allemand Röntgen jusqu’au réseau planétaire des satellites et d’Internet. Lyncée, personnage de la mythologie sert de fil rouge.
L’argument dramatique et la musique sont de François Ribac. Il a joué du jazz free, tout en écoutant les groupes des années 70 (Soft Machine, King Crimson, Henry Cow, le rock allemand de Can ou Faust). Sa musique vient un peu de certaines figures rythmiques d’Igor Stravinsky -inspirateur de Frank Zappa, à qui l’on pense parfois- un peu des mélodies limpides de la pop, un peu des mélancolies rêveuses de Robert Wyatt et d’une forme de néo-classique matiné de cabaret à la Michael Westbrook. Toutes ces influences permettent à des chansons d’exister. Les chanteurs Marie Grenon, Eva Schwabe et Ken Norris ont fort à faire avec les textes (ceux d’Hervé Le Tellier sont les plus réussis), parfois narratifs, à d’autres moments fantaisistes façon Queneau. Il leur faut passer de la samba à la fanfare, de l’électronique répétitive à des airs de jazz. À chaque genre son souffle, son impulsion. Le soir de la création, pour cause de voix un peu tendues, certains mots étaient mangés, des équilibres avec la bande musicale restaient à trouver. Mais l’on pouvait voir et entendre vers quoi tendait ce Regard, une œuvre gaie et sérieuse, moderne et poétique, un peu comme un opéra à l’italienne ou un comédie musicale avec son lot de surprises pour relancer, sans tomber dans le spectaculaire, l’intérêt.
Sylvain Siclier
La lettre du musicien
été 1999
« Le regard de Lyncée » de François Ribac
« Une vue m’est donnée comme celle du lynx sur l’arbre le plus élevé mais ce n’est pas seulement pour me réjouir que je suis posté ici, tout en haut : quel spectacle d’effroi et d’horeur surgit, menaçant du monde enténébré « .
C’est à partir de ces vers de Faust que François Ribac (né en 1961) a conçu son dernier opéra de chambre Le regard de Lyncée, prêtant au héros grec revisité par Goethe de nouvelles métamorphoses; Tour à tour rayon X, attraction de foire au XIXe siècle ou satellite espion sur un livret quelque peu kitsh -second ou premier degré ?-, Lyncée traverse trois époques, qu’illustrent musicalement trois modes de narration: langage modal et récitatifs pour les récits mythologiques, musiques populaires et rythmes endiablés pour les foires et de longs développements lyriques pour “l’âge spatial”.
Les trois chanteurs Marie Grenon, Eva Schwabe et Ken Norris remarquables tant par la qualité de leur interprétation que par leur capacité aisé mouvoir à travers la diversité des genres mélodiques que leur impose la partition, alternent parlando, chant lyrique, vocalises chanson de cabaret ou de rock, dialoguent en canon avec leur propre voix grâce à un dispositif de diffusion en boucle -on pense à la série des Contrepoint de Steve Reich- se prêtent à de beaux ensembles. « L’orchestre »; composé de musiciens de la Compagnie « Musiques en Scène », comprend neuf instruments acoustiques, acoustiques amplifiés et des synthétiseurs. Le décor lui-même évolue, depuis la machinerie de théâtre jusqu’au dispositif du magnifique acte final, où alternant -en phase avec la musique- images de synthèse, scènes filmées ou dessins animés, l’écran commente une situation, plante un décor, dédouble les personnages ou crée le mouvement qui les entoure.
La palette des styles que déploie François Ribac -tard venu à la musique “sérieuse”, ancien bassiste de rock et de jazz- se ressent des multiples influences de son sinueux parcours. “Il ne s’agit pas tant d’emprunt que d’empreinte” résume t-il laconiquement. C’est au terme d’une tournée de deux mois en France que nous avons pu entendre Lyncée au Centre des Bords de Marne du Perreux (18 mai).
Grégoire Hetzel
Le Monde de la Musique
avril 1999
Le regard de Lyncée
Compositeur en résidence au Blanc-Mesnil pendant trois ans, François Ribac et sa Compagnie Musiques en Scène signent un nouveau spectacle Le Regard de Lyncée mis en scène par Patrice Bigel.
À la confluence du rock, des musiques improvisées et de la création contemporaine, François Ribac compose depuis 1986 pour la scène et l’image. Co-Lauréat de la Fondation Beaumarchais avec son opéra Le Regard de Lyncée, il a remporté en février dernier un nouveau prix de composition, attribué par Pro Lyrica et la SACD (Société des auteurs et Compositeurs Dramatiques) pour la comédie musicale Qui est Fou ? sur un livret d’Hervé Le Tellier. Qu’il destine ses partitions au cinéma de Jean-Louis Bertucelli, au film muet La Rue (Kinopéra, 1997) ou à sa compagnie de théâtre – les opéras de chambre Marguerite Ida et Helena Annabel d’après Gertrude Sein (1992) et Un Demi Siècle/ Ein Halbes Jahrhundert (1995) – sa musique est inscrite dans une veine populaire parfois réinventée, tant sur le plan mélodique que rythmique (à l’image de ses figures tutélaires, Kurt Weill et Hans Eisler), ce qui n’exclut pas une recherche sur le timbre et un sens original de la prosodie, dans l’esprit des Américains Robert Ashley et Steve Reich.
Confié à trois chanteurs (Marie Grenon, soprano, Eva Schwabe, alto, Ken Norris, baryton), un récitant (Jacques Allaire) et un petit orchestre, Le Regard de Lyncée se veut un spectacle « sur le monde actuel et l’idéologie de la technique; l’ordinateur et le téléphone portable, le multimédia et le “cyberpositivisme”. Évidemment, comme la plupart des musiciens, je manipule moi-aussi cette technologie avec le même type d’excitation générale. Mais je ne voulais pas aboutir à un spectacle parodique, une sorte de comédie musicale sur Internet et Bill Gates quoique… Dans la figure de l’argonaute Lyncée, héros marginal de la mythologie grecque, j’ai trouvé la représentation du visionnaire, celui qui guide dans la brume, détecte l’or à travers la pierre, et dans le Second Faust de Goethe, aperçoit au loin les armées. C’est moins le héros de l’Antiquité que son double “moderne” qui m’intéresse. Sur une dramaturgie que nous avons conçu préalablement, nous avons demandé à des écrivains (Marie-Claire Pasquier, Hervé Le Tellier, Serge Grünberg) d’écrire des scènes dans le style qu’ils affectionnent. La figure de Lyncée est exposée en trois périodes, de l’épopée homérique au XIXe siècle romanesque de Jules Verne, époque où dans les baraques foraines, on présentait aux badauds les rayons X, découverts par Röntgen, pour conclure sur le présent et l’âge de machines de plus en plus performantes : satellites d’observation, météorologiques, caméras pour la chirurgie, prothèses oculaires, images virtuelles”.
Vocalement, François Ribac a cherché à décliner pour ses trois époques différents modes. Ainsi pour les grecs, le chant privilégie la courbe du récitatif et le rythme de la danse, tandis qu’à l’époque moderne, plusieurs voix interfèrent. Pour ce Regard de Lyncée, la collaboration avec le metteur en scène Patrice Bigel (fixé à l’Usine Hollander à Choisy le Roi) n’est pas fortuite : il est l’un des rares hommes de théâtre à porter une attention méticuleuse à la bande-son de ses spectacles. C’est sa seconde réalisation lyrique, puisqu’en 1993 il mettait en scène le Cid de Massenet, à Rouen.
Franck Mallet
Création au Forum Culturel du Blanc-Mesnil les 7 et 8 avril. Représentations suivantes les 28 (20 h 45) et 29 (14 h30) avril au Manège de Reims, le 7 mai (20h 30) à l’Espace Louis Lumière d’Épinay sur Seine, le 11 mai (20h 30) au Moulin du Roc à Niort et le 18 mai (20h 30) au Centre des Bords de Marne du Perreux.
La Terrasse
avril 1999
La scène émulation
Venu du rock, passé par le jazz, influencé par la nouvelle musique américaine, François Ribac confirme sa fascination pour la scène en signant son quatrième opéra Le Regard de Lyncée. Une fable où le héros grec ressuscité par Goethe dans Faust, porte son regard affuté sur différentes époques, de la Grèce antique jusqu’à nos jours. Création les 7 et 8 avril à Blanc-Mesnil, dans une mise en scène de Patrice Bigel, avec la complicité de Eva Schwabe, compagne et principale interprète de ce jeune compositeur iconoclaste de 37 ans.
– Vous avez débuté votre carrière de musicien en tant que bassiste de rock, aujourd’hui vous composez des opéras…
François Ribac :
Je crois qu’il y a une relation étroite entre le rock, le jazz et la musique vocale. Une des caractéristiques du rock dans ses meilleures expressions est qu’il est toujours chanté, qu’il y a du texte, du sens. Il y a aussi de très grands poètes dans l’histoire du rock. Pour quelqu’un comme moi qui a une culture rock, une culture jazz, le fait de faire des productions opératiques n’est pas un hasard. La voix est au centre de ma réflexion et de mon travail depuis le début.
-Doit-on vraiment parler d’opéra au sujet du Regard de Lyncée ? On sait que l’univers musical dont vous êtes porteur ne renvoie pas forcément à l’univers traditionnel de l’opéra…
François Ribac :
C’est un opéra. Même si pour le grand public ce terme est souvent synonyme de la forme des XVIIIe et XIXe siècles. Quand on parle d’opéra, on parle de deux choses. D’abord, d’histoires qui sont chantées, je pense que c’est ce qui est essentiel. Et puis, par ailleurs, d’un spectacle qui a vocation à être hybride, à associer des arts. Bien sûr, j’entends plutôt “opéra » dans le sens où un Philip Glass et un Bob Wilson ont pu l’employer pour Einstein on the Beach, ou encore comme Meredith Monk ou Robert Ashley. Quand ils parlent d’opéra, il s’agit vraiment de narration musicale. Du point de vue de l’esthétique musicale, je travaille avec des chanteurs qui utilisent des microphones, avec des timbres qui sont des voix naturelles. je n’utilise pas la couleur vocale du lyrique. En ce qui concerne par contre la machinerie théâtrale, pour la première partie de ce spectacle, on travaille dans une forme qui est vraiment très proche de celle que l’on utilisait au XIXe siècle.
-Vous vous rattachez à un courant musical essentiellement anglo-saxon. Ne vous sentez vous pas seul en France dans cette démarche ?
François Ribac :
Vous demandez à un artiste s’il se sent seul… (rires). Je pense qu’il y a aujourd’hui tout un courant de musiciens-c’est vrai ce sont des anglo-saxons- dont le principal centre d’intérêt est le théâtre. Mon problème n’est pas de me situer en opposition ou en solitaire par rapport au courant lyrique et à l’utilisation de la tradition lyrique que l’on retrouve effectivement dans la musique contemporaine. Ce n’est pas d’être un faiseur de ruptures. Je me place dans une tradition qui est autre, qui du point de vue musical est plus proche du jazz ou de certains courants du rock et plus généralement de ce que l’on pourrait appeler la musique savante anglo-saxonne, et qui par ailleurs a comme centre d’intérêts principaux, la dramaturgie, l’écriture scénique et plus généralement, la scène. Je partage beaucoup de choses avec des gens de théâtre et ce n’est pas toujours le cas des musiciens…
-Peu de musiciens renoncent comme vous le faites à la technique vocale du“ grand opéra” …
François Ribac :
La technique du lyrique est liée en grande partie à l’époque du bel canto, à la forme des théâtres, au fait qu’il fallait passer la voix au-dessus de l’orchestre et que cet orchestre, à l’époque de Puccini et de Richard Strauss, était très massif. Maintenant que la technologie permet d’amplifier la voix, on peut faire le choix de conserver ces techniques vocales pour des raisons esthétiques mais les raisons physiques ont disparu. C’est vrai que je me suis toujours étonné de voir, dans certains courants musicaux, des gens qui professent la modernité sur les questions de l’instrumentation, de l’écriture musicale voire de la dramaturgie, et qui, sur la question de la technique vocale, restent dans un dogme pétrifié.
Propos recueillis par Jean Lukas