Photos Nicolas Joubard
Just before (Ribac/Schwabe)
Chant : Cathal Coughlan
To the fade (Ribac/Newell/Schwabe)
Chant : Eva Schwabe, Marie Faye, Cathal Coughlan, François Ribac
Écouter d’autres extraits dans le disque Into the Green (Musea/Gazul 2017)
La Noce des Platines
Création en décembre 2007 à l’Espace 1789 de Saint-Ouen
Un opéra (pop) pour quatre chanteurs(euses)-musicien.n.es
Argument
De quoi parle La Noce des Platines ? Du mariage entre les humains et les machines qui jouent et enregistrent de la musique. Et, comme dans toutes les noces, la cérémonie se déroule avec des témoins et dans divers types de “salles des mariages”. Ainsi, La Noce des Platines évoque
-Des amateurs qui dansent et chantent (parfois à tue-tête) dans leur chambre avec leurs disques préférés
-Le disquaire de quartier qui manipule avec délicatesse les trésors qu’il réserve à ses client.e.s
-Un studio d’enregistrement où un crooner des années quarante chante avec un orchestre de cuivres
-De (très) ingénieuses du son se livrant à de drôles d’expériences avec des haut-parleurs sur roulettes
-L’amour de la pop américaine des années soixante
-Une console de mixage folle
-Une opération chirurgicale très électrique et même les écrits de Francis Bacon, un savant du 17e siècle.
En somme, il s’agit d’un voyage au cœur de la « boîte noire de la musique ».
Presse
Tapage nocturne – France Musique
2008
Un interview de François Ribac et Eva Schwabe par Bruno Letort (producteur de l’émission).
blog culturecom
6 février 2008
Opéra pop de la Compagnie Ribac/Schwabe
Hier soir, j’étais à La Condition Publique pour écouter “l’opéra-pop” pour le moins hétéroclite que nous a programmé La Clef des chants, qui a pour habitude dans la région de tournebouler notre vision de l’opéra et de l’art lyrique (pour peu qu’on en aie une) : on les a vus baroques, dans l’ambiance des estaminets ou même dans la rue (prochainement, une opérette de rue mise en scène par Sophie Cornille). Souvent, sans doute en vertu de cette pratique « décentralisée » comme on dit par chez nous (ou encore hors les murs : bref, loin des rapports scéniques classiques), les mises en scène invitées sont très théâtrales, et c’est peut-être une raison pour laquelle j’aime bien leur programmation.
Faut dire qu’il y avait aussi un gros mot lié à cette excellente Noce des platines : orchestre « Her-mé-neu-ti-que ». Je l’aime bien ce mot-là, parce qu’on peut passer des heures à l’interpréter sans jamais arriver au bout : passionnant. Et La Compagnie Ribac/Schwabe [site en cours] a bien choisi son vocabulaire, puisque son spectacle se plaît à mélanger les langues et les instruments (Eva Schwabe s’empare même très lestement d’une scie musicale qu’elle fait vibrer comme un fantôme), comme pour ouvrir des pistes à nos oreilles et des fenêtres à nos cerveaux : « on a créé des tubes pour retenir les sons, mais on pourrait aussi les laisser s’envoler dans les vents » [citation approx, traduite de l’anglais], concluent les chanteurs dans un shunte musical aérien. Et les accordéons, synthé, et autre banjo de s’envoler dans les cintres…
Cette Noce des platines est assez indescriptible pour en parler…
Des chanteurs déguisés en scientifiques du XVIIIème viennent nous jouer la leçon des savants, en anglais, en allemand, en français. Inutile de dire que dans ce langage on ne comprend tout à fait que la musique, et la dérision des quatre interprètes. Car s’il y avait une trame à donner à ce spectacle, constitué de plusieurs « scènes » comme autant de moments d’expérimentation des sons, c’est l’humour et la poésie qui s’en dégagent. Une scénographie impeccable tenant à la fois du laboratoire et du studio, du magasin de viniles et du bar londonien de la fin des années 80 nous reconduit sans prétention aux origines du phonautograph et autres machines à produire du son. Alexander Graham Bell est évoqué, et son invention, le téléphone, rendue à son terrible sens tragique : l’assistant de Bell, Watson (« vous m’entendez, mon cher Watson ? » cf. ici) rend une visite nocturne à la morgue afin de trancher la tête d’une morte pour récupérer son oreille interne et la reproduire en chair, métal et os… Moment carrément fantastique du spectacle !
Et tout a commencé par un tube…
Parmi les autres expérimentations mêlant toujours interprétation vocale et instrumentale et jeu avec les machines, un ballet au second degré avec un jeu d’orgues ou encore avec deux hauts-parleurs (photo ci-dessus) manipulés par les comédiennes dans une chorégraphie improbable… Un solo inoubliable de Cathal Coughlan et sa voix sans égale, profil public… Un hommage aux vyniles dont on écoute avec bonheur le grésillement… Un ingénieur du son qui se débat avec sa console qui refuse soudain de lui obéir (ici, même les murs et les objets se libèrent pour créer leurs propres sons !)… Les voix, les orgues, les circuits, les scies, les accordéons, les magnétophones, les dictaphones, et autres amplis ou saxo à quatre sous sont mis à contribution pour ces expériences sonores souvent très drôles. Et la guitare de François Ribac, qui au rappel lance un clin d’oeil aux maîtres de la pop, les Beatles, avec une interprétation de… Doctor Robert. L’objectif au final est de réaliser une sorte de pont entre l’exercice classique “variation sur un thème de” (l’univers pop), qui prend prétexte d’un fragment d’une autre œuvre pour construire son développement, et la technique du sampling et du collage. « Plutôt que de tenter de reproduire des techniques issues de la techno (le dijaying), du hip hop (scratch avec des platines vinyles) ou de l’électro-acoustique (la diffusion spatialisée du son), on s’attachera à élaborer (sans prétention !) une geste spécifique, liée aux fonctionnalités des objets de reproduction » écrivent les concepteurs dans leur note d’intention. Réussi !
L’argument scientifico-ludique des expérimentations de ce spectacle nous ramène à 1626 : « un savant anglais nommé Francis Bacon écrivit une utopie intitulée La Nouvelle Atlantide. (texte intégral et extraits sur Gallica) Il y décrivait notamment des laboratoires où l’on isolait les microbes, faisait croître des espèces végétales et manipulait le son, l’amplifiait, le transformait en écho, le stockait et l’envoyait dans des tuyaux. En bref, Bacon anticipait le studio d’enregistrement des Beatles » dit le pitch.
Moi j’avais surtout retenu de Bacon sa volonté de classer les objets et les sciences dans un Novum Organum assez indigeste : un classement auquel Kant s’est sans doute référé pour pondre sa révolution copernicienne qui met l’homme non plus au centre de nos expériences, mais l’expérience au centre de notre connaissance. La boucle est bouclée : dans La Noce des platines, il s’agit bien de nous faire vivre des expériences sonores, de faire tourner les sons et de montrer l’infinie variété de leurs sources et de leurs interprétations, comme les hypothèses d’un monde qu’il nous faut d’abord sentir avant de le laisser s’estomper… « fade » [ang. : disparaître, s’évaporer dans les airs, fondre], comme le dit mélancoliquement le refrain de cette Noce rythmée…